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RAÄVENA

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Figée. J'étais complètement figée par ce regard. D'ordinaire, je ne ressentais jamais rien face à la vision des autres. La lassitude m'avait poussée à me désintéresser, en grande partie, de ceux qui m'entouraient et de ce qu'ils pouvaient dégager. Alors pourquoi étais-je tout simplement incapable de détourner mon attention de cet elfe à la chevelure aussi sombre que la mienne ? Je le vis tirer sur les rennes de sa monture l'enjoignant à se déplacer dans ma direction, cela me fit tressaillir. Il s'arrêta à moins de deux mètres de ma personne et me toisa des pieds à la tête, sa beauté était à couper le souffle. Les dorures qui se trouvaient au coin de mes yeux ne conduisaient qu'intensifier son regard déjà envoûtant. Il ne prononça pas un seul mot et je ne baissai pas la tête, une étrange bulle commença à se former autour de nous, rendant opaque ce qui se déroulait en dehors.

Ce curieux échange prit pourtant fin lorsque l'elfe qui nous avait achetés apparut à côté de moi. Du coin de l'œil, je mirai la blonde qui affichait un sourire affable face à son homologue masculin.

— Seigneur Aolis, mes respects, le salua-t-elle en inclinant humblement le chef, je suis ravie de vous revoir, j'espère que grâce à Thuaris vous ayez fait bonne route jusqu'ici, vous et les vôtres.

— Oui, tout s'est parfaitement déroulé, je te remercie de ta sollicitude Eirina. Ce sont de nouveaux esclaves ?

Sa voix grave et masculine me fit une encore une fois frémir, c'était un régal pour les oreilles.

— Oui, Monseigneur, je les ai acquis peu de temps avant votre arrivée, ils ont été nourris et lavés comme vous pouvez le voir. Et aussi, celle-ci est une sang pur.

Je me fis violence pour ne pas reculer mon visage lorsque la dénommée Eirina passa la pulpe de son doigt contre la ligne noire qui partait de ma lèvre inférieure jusqu'à l'arrondi de mon menton.

— Hum, quel est ton nom ? m'interrogea le souverain elfique.

— Raävena, Monseigneur.

— Quel âge as-tu ?

— Environ un demi-millénaire, répondis-je, je ne sais pas exactement, j'ai cessé de compter après deux siècles.

— Et de quel clan viens-tu, Raävena ?

Aïe, question épineuse que voilà. Je n'en avais absolument aucune idée, il fallait bien l'avouer. J'étais née dans le secret et ma mère n'avait jamais évoqué notre ascendance, je connaissais le nom de quelques-uns d'entre eux, mais pas le mien.

— Je ne sais pas.

— Comment ça ?

Je le vis froncer les sourcils, ce qui lui conféra une expression autoritaire, mais je ne flanchai pas. Je ne pouvais pas lui donner une réponse que je ne possédais pas.

— Je ne sais juste pas, Monseigneur.

— Ta famille ne t'a-t-elle pas parlé de tes origines ? Êtes-vous devenus si incompétents au fil des âges pour ne plus transmettre votre héritage ? Enfin, il n'y a rien de glorieux à partager l'histoire de félons après tout.

— Probablement.

Je ne cherchai pas à le contredire, même si une colère intense se mit à bouillir en moi. Il était vrai que nombre de vampires avaient trahi les peuples de Yiheon, mais oublier ceux qui étaient restés fidèles était une insulte, en soi. Et malgré son beau visage, l'air supérieur que cette créature arborait en me fixant, perchée sur son étalon, m'agaçait au plus haut point.

— Soit, ce n'est pas grave, tu seras à mon service lorsque j'aurai besoin de toi. Ton sang te rend un brin moins misérable que ces chiens là-bas. En attendant, Eirina, mets-les au travail maintenant qu'ils sont présentables.

— Bien, mon roi, dit-elle en lui offrant une nouvelle courbette.

— Toi, suis-moi.

Sans attendre de réponse, il se détourna et retourna rejoindre le petit groupe avec lequel il était arrivé un peu plus tôt, tous ayant quitté leur monture. Je le suivis, marchant légèrement en retrait, je n'étais pas son égale, je n'avais pas le droit de me tenir à son niveau. J'observai sa longue chevelure obsidienne cascader dans son dos, elle paraissait incroyablement soyeuse, bien loin de mes mèches ternes. J'aurais presque envie d'y passer mes doigts.

— Mon frère, qu'avons-nous là ? intervint une voix féminine.

Je fus arrachée à ma bulle de pensée et mes pupilles rouges se posèrent sur une elfe qui partageait une grande ressemblance avec le souverain. Mais ce n'était pas si étonnant puisqu'elle l'avait appelé « mon frère », sa tignasse était tout aussi sombre, mais ses yeux ne possédaient pas l'intensité de ceux de son parent. Elle n'en restait pas moins superbe avec son visage de poupée et sa peau aussi laiteuse que la mienne. Dans ses beaux vêtements fluides aux teintes bleues et parées de voiles clairs ainsi que de décorations d'or finement travaillées, elle avait une prestance que nul ne pouvait ignorer.

— Une des nouveaux esclaves achetés par Eirina, répliqua Aolis en mettant pied à terre.

— Une sang pur des traces que je vois sur sa peau. Quel clan ?

— Elle n'en a aucune idée.

— Il suffit de trouver sa marque de naissance pour le savoir.

— Je n'ai pas de temps à perdre avec ça, cracha-t-il d'un ton irrité, il s'agit seulement d'une vermine un peu moins pouilleuse que les autres.

Des gloussements moqueurs se firent entendre autour de nous, je n'y portai pas une grande attention, j'avais l'habitude, toutefois je sentis ma colère revenir à la charge alors que j'observai le dos de son nouveau maître. Quand ces insultes sortaient de sa bouche à lui, c'était on ne peut plus agaçant, je ne comprenais pas d'où cela venait. Je tins pourtant ma langue une fois de plus. Le souverain me toisa par-dessus son épaule avant de m'ordonner de le suivre d'un simple mouvement de tête, comme la chienne que j'étais à ses yeux. Je lui emboîtai le pas, même si en passant près de sa sœur, je ne pus me retenir de glisser une œillade dans sa direction. Et la lueur qui animait son regard me laissa un tantinet sceptique, je ne sus, avec certitude, ce que cela signifiait. Je fis le choix de ne pas m'y attarder plus, j'avais autre chose à faire. L'elfe mâle pénétra dans la plus large tente du camp, celle-ci arborait un beau coloris bleu roi et un dragon à la teinte de l'or y était brodé alors que le drapeau de la nation elfique flottait mollement, au rythme de la brise, à son sommet.

Je me glissai dans l'habitacle à mon tour après avoir soulevé le pan de tissu qui servait de cache à l'entrée. Mes pieds nus se posèrent sur de la peau de bête particulièrement douce tandis que mes yeux analysèrent tout ce qui se dessinait autour de moi. Ce n'était pas chargé, en fait cette tente était si grande que cela pouvait paraitre vide avec le peu de choses qui s'y trouvaient. Une couche, une petite table avec un siège en bois massif, un présentoir et...

— Raävena, m'interpela Aolis.

Je retombai soudainement sur terre et mes iris rouges se coulèrent dans sa direction pendant qu'il me fixait sans mot dire. Il n'eut pas besoin de prononcer le moindre mot, son regard était bien assez éloquent. Je fis quelques pas dans la tente et m'arrêtai près de lui avant de tendre les mains. Sans se hâter, il retira le grand kimono noir bordé de motifs d'argent représentant un dragon qu'il portait. Et alors que je m'attendais à ce qu'il vienne y déposer ce dernier, une vive douleur irradia de mes extrémités. Je m'étais mordue la langue pour ne pas gémir de détresse, mais impossible d'empêcher mes mains de trembler. Une marque, mince, bien rouge apparut sur mes paumes, un peu plus et il aurait entamé la chair. Je découvris une fine lanière, en cuir, pendre de ses doigts, nul besoin d'être un génie pour comprendre.

— Tu n'es pas là pour rêvasser, aux vues de ton âge, je pensais que tu connaissais ta place et ce qu'elle impliquait.

Il passa à côté de moi et alla déposer son pardessus en soie sur un présentoir noir et laqué réservé à cet effet dans le but de ne pas le froisser, laissant une partie du tissu précieux s'étaler sur les fourrures tapissant le sol. Il retira les deux épées accrochées à sa ceinture et me les lança. Malgré la douleur qui battait toujours à mes mains, je rattrapai les deux objets en plissant les yeux à cause du contact brusque sur ma peau meurtrie. Je me hâtai d'aller les placer sur l'étal qui leur était dédié. Mais je sentis soudainement la chaleur de l'elfe dans mon dos et sa respiration caresser mes cheveux encore humides de ma précédente baignade. Je ne me tournai pas pour le regarder, ce serait considéré comme une provocation. Un long frisson me remonta l'arrière du corps, des talons jusqu'à la nuque, lorsqu'il remit une mèche derrière mon oreille.

— Je ne sais pas ce que toléraient tes anciens maîtres, susurra-t-il, pour ma part, je n'attends rien d'autre de toi qu'une obéissance totale. Tu dois savoir ce que tu as à faire sans que je te le dise.

Je tressaillis fortement à l'instant où sa grande main se referma sur ma mâchoire et qu'il m'obligea à tourner mon faciès vers lui, son souffle percutant alors la peau pâle de mes joues à ce moment-là.

Son haleine sent la pomme.

— Ce serait dommage d'écourter un demi-millénaire de vie pour de simples rêveries, ne crois-tu pas, ma chère Raävena ?

— ... Oui, votre Majesté.

Il n'y avait pas d'autre réponse possible. Parce que cette question n'en était pas une, c'était une menace maquillée en interrogation. Il me toisa de manière altière avant de me relâcher, remettant une distance convenable entre nous. Il me tourna le dos pour aller se servir de l'eau. Il ne se sentait absolument pas intimidé par ma personne, quelqu'un qui aurait eu ce sentiment ne m'aurait jamais présenté son dos avec autant d'aisance. Je me retournai et marchai en direction de la sortir de l'habitacle, il ne semblait plus avoir besoin de moi, aucune raison que je reste dans son espace et à sa vue. Je soulevai à nouveau le pan qui servait de porte et me retrouvai dehors, au milieu de tous ces elfes. La plupart m'ignorèrent et cela m'alla très bien. Je m'emparai de ma mâchoire que je massai légèrement, il n'avait pas serré spécialement fort, mais cela m'avait suffi pour deviner la force qu'il pouvait déployer.

— Vermine ! l'appela un soldat. Si tu en as terminé avec le roi, va rejoindre les autres pour la corvée de nettoyage !

Je tournai la tête pour voir mes homologues un brin à l'écart, dans un coin sur un carré d'herbe verte aménagé pour que les lessives puis êtres faites, en train de s'activer à la tâche qui leur avait été confiée. J'allai donc les retrouver pour me mettre au travail moi aussi. Plongeant mes mains dans le baquet d'eau froide et mousseuse, je commençai à frotter le linge sale adroitement même si mes paumes me picotaient encore. À côté de moi se tenait le vampire qui avait voulu m'aider un peu plus tôt dans la journée, je le reconnus à son odeur. Un mâle aux cheveux roux et bouclés avec des pupilles orangées comme ceux de la plus jeune.

— Ton visage ne te fait pas trop souffrir ? lui demandai-je sans lever les yeux vers lui.

— Non, avec le peu de sang qu'on nous a donné, j'ai déjà commencé à guérir, même s'il m'a ouvert l'intérieur de la joue.

— Hum, quel âge as-tu ?

— Cent-cinquante ans. Toi, tu es une sang pur, tu es la première que je croise.

— La plupart d'entre nous ont disparu aujourd'hui, la reproduction massive a fait se perdre la pureté du sang.

Cela n'était en rien surprenant. Il fallait toujours des esclaves pour remplacer ceux qui mourraient, ou plutôt qui étaient tués, alors ils nous obligeaient à nous reproduire et le plus souvent avec des vampires transformés, qui avaient donc été humains par le passé. En mille ans, la race des vampires avait perdu de sa superbe et les petiots qui venaient maintenant au monde étaient souvent mal foutus, incapables de vivre correctement à la lumière du jour. Même s'il en restait certains possédants du sang de vampires nobles dans les veines et qui donc ne souffraient pas de cette tare, on ne peut plus contraignante.

— Je ne comprends pas pourquoi on nous traite ainsi..., murmura la petite brune à ma droite.

Les deux vampires lui glissèrent un regard avant de se mirer, particulièrement sceptiques face aux mots de cette petite chose.

— Comment t'appelles-tu et quel âge as-tu ? lui demanda le mâle.

— Valaine, j'ai dix-huit ans...

— Je vais te dire pourquoi on nous traite ainsi.

Je fis silence lorsque des soldats passèrent près de nous, guettant le moindre de nos faits et gestes. Je frottai le linge humide entre mes mains jusqu'à ce qu'ils s'éloignent assez pour ne pas entendre nos babillages. Ils étaient là pour travailler, pas pour faire la causette. Je tournai ensuite la tête en direction de Valaine qui scrutait discrètement les alentours aussi, ne souhaitant pas recevoir une correction.

— Il y a mille ans, commençai-je en poursuivant ma tâche, la déesse du chaos, Ahella, déclencha une guerre contre Thuaris et Esris, mais également contre tout ce qu'elles avaient créé. Évidemment, elle parvint à manipuler bon nombre d'êtres avides de pouvoir qui rejoignirent les rangs de son armée maudite.

Je marquai une pause et essorai le tissu bleu clair que je venais de laver avant de m'emparer d'autre chose que je plongeai dans l'eau.

— Et notre peuple joua un rôle clé dans cette guerre, continuai-je. Beaucoup de sang pur prêtèrent serment à Ahella, au point de commettre l'impensable.

— Comment ça... ?

— Nous allâmes jusqu'à lui offrir notre royaume : Blöodheart.

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Et voilà pour le chapitre 2 ! J'espère qu'il vous aura plu, n'hésitez pas à me faire des retours et à me dire si cela vous plait ou non ! 

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